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Les magazines sont là pour rester

Par Jean-François Légaré, Directeur éditorial, Sid Lee

 

Les magazines papier conserveront une place de choix dans les écosystèmes de marque. Voici pourquoi.

 

Je me rappelle la première fois où l’on m’a dit que les magazines étaient condamnés à disparaître. C’était en avril 2004, à Toronto, lors d’un dîner organisé à l’occasion de ma première journée à l’emploi d’un magazine. «Tu ferais mieux de trouver autre chose, a ironisé un collègue en riant. Dans cinq ans, les éditions papiers n’existeront plus.»

Heureusement, j’ai eu une belle carrière, notamment grâce aux magazines de marque où j’ai œuvré pendant près de 15 ans. Le marketing de contenu en était à ses balbutiements au début des années 2000, et plusieurs consœurs et confrères journalistes sourcillaient en entendant parler de mes reportages publiés par la chaîne de cinémas Cineplex ou les hôtels Fairmont.

Sans leur souhaiter d’injections au botox, je souris en pensant à ces collègues qui, ces dernières années, ont eu plusieurs raison de plisser le front. enRoute, le mensuel d’Air Canada (où j’ai longtemps travaillé, notamment à titre de rédacteur en chef) est devenu au fil des ans une magazine dont la crédibilité n’est plus à faire. De telles publications lancées par des entreprises se multiplient, un phénomène que confirment des titres comme Here (édité par le manufacturier de valises Away), Net-A-Porter ou le défunt Rapha, publié par le fabricant d’accessoires de vélo du même nom, longtemps une référence en matière de design éditorial et de qualité de contenu. 

 

Conversations capitales
Bien sûr, produire un magazine de marque coûte plus cher que préparer une campagne sur Facebook. Mais alors que les entreprises s’entretuent pour capter l’attention en ligne, l’idée d’attirer des consommateurs pendant de longues minutes par l’entremise d’une publication papier est l’équivalent pour une marque d’une sortie entre amoureux un vendredi soir. Autrement dit: du temps de qualité avec les gens qu’elle courtise.

 

Les magazines de marque s’inscrivent dans un effort de notoriété à long terme, mais ils peuvent jouer un rôle encore plus important. La Banque Nationale, qui a récemment mandaté le bureau montréalais de Sid Lee pour diriger la refonte de Présent (le semestriel envoyé aux clients de ses divisions spécialisées en gestion du patrimoine), a saisi la balle au bond. En proposant des textes sur les intérêts qu’elle partage avec ses meilleurs clients, l’institution leur offre une monnaie d’échange inestimable: du capital conversationnel. (En espérant que Bertrand Cesvet, le PDG de notre agence, ne m’en veuille pas trop d’emprunter l’expression qu’il a si bien consacrée.)

On ne l’appelle pas l’économie du savoir pour rien: notre époque carbure aux connaissances et aux nouvelles idées. La Banque n’a d’ailleurs pas hésité à faire appel à des collaborateurs de prestige qui ajoutent leur crédibilité aux pages de son magazine. Je parle ici de journalistes de la trempe de Sarah Musgrave (une spécialiste en gastronomie et en voyage dont le travail sérieux est entre autres apparu dans le Walrus ou le Globe and Mail) et de photographes comme Jake Stangel, qui a prêté sa lentille à des publications telles que GQ, Bon Appétit et Travel+Leisure.

Dans les pages de Présent, tout ce beau monde a collaboré à des articles sur les dernières tendances, autant de munitions que nos lecteurs peuvent à leur tour utiliser pour entamer des conversations et tisser des liens. Ce service gracieusement offert par la Banque Nationale n’a rien à voir avec les finances, et pourtant, il permet d’augmenter sa valeur auprès d’une cible prestigieuse et abondamment sollicitée. Pour une marque, forger une relation aussi privilégiée n’a pas de prix.

 

Le règne de la beauté
Blâmez (ou remerciez) les Kinfolk, Cereal et autres Apartamento pour avoir popularisé les «bookazines», ces publications somptueuses à mi-chemin entre livres et magazines qu’on achète autant dans les boutiques chics que dans les cafés troisième vague. Stefano Tonchi, ex-rédacteur en chef de W, affirmait d’ailleurs que «de nos jours, les magazines doivent être de beaux objets qu’on a envie de collectionner». Et d’exposer fièrement sur sa table à café.
 
Ce n’est pas un hasard si Sid Lee a repensé le magazine de la Banque Nationale en un objet haut de gamme. Investir dans la profondeur des articles était crucial, mais il ne fallait pas non plus négliger la qualité du papier (recyclé), la mise en page (épurée), le choix des photos (léchées) et le traitement typographique (affirmé). Le soin apporté au design devait impérativement traduire l’importance que la Banque accorde à son auditoire, en plus de refléter son sens du goût: le magazine devait en effet pouvoir s’harmoniser de manière irréprochable à l’environnement physique de sa cible. Si le contenu d’une publication confère du capital conversationnel à ceux qui la lisent, son contenant leur donne une bonne dose de capital esthétique. Plus une revue est instagrammable, plus une marque réussit son pari.
           
Lancé en juin, Présent a suscité des réactions enthousiastes. À la manière d’un recueil de nouvelles littéraires, chaque numéro est articulé autour d’un thème exprimé librement au fil des articles. Pour la première édition, c’est la thématique du mouvement qui a été retenue, une évidence lorsqu’on se penche sur la cible de la Banque Nationale, une communauté de professionnels accomplis et animés par l’esprit entrepreneurial. Pour ces leaders, l’inertie n’est jamais une option. Tout comme l’univers des magazines de marque, qui se retrouve chaque jour devant une nouvelle page blanche.