Vision d’avenir – Vincent Ramsay-Lemelin

Quand il est question de commerce, le directeur exécutif de création Vincent Ramsay-Lemelin connaît son affaire. Il a dirigé de main de maître certains de nos plus gros comptes pendant 15 ans, ce qui lui a valu plus d’un prix, à lui et à son équipe. C’est pourquoi nous lui avons demandé comment il entrevoyait l’évolution du commerce de détail dans les prochaines années.

Dans le contexte actuel, il est bien difficile de se projeter dans l’avenir aussi loin que nous le faisions auparavant. Le temps file, et l’avenir de la technologie et du commerce exerce une pression constante sur nos vies. Une preuve parmi tant d’autres : la première fois que nous avons parlé avec Vincent, la semaine dernière, Facebook s’appelait encore… Facebook.

Malgré tout cela, Vincent a accepté de regarder dans sa boule de cristal pour nous dire à quoi les prochaines années pourraient ressembler. La première fois que nous avons discuté, il a souligné le fait que la frontière entre commerce traditionnel et vente en ligne s’estompait de plus en plus. Selon lui, les entreprises n’auront d’autre choix que de constamment chercher des façons de se renouveler pour prospérer. Ce que ça veut dire concrètement, c’est que les marques qui misaient essentiellement sur des magasins physiques ont dû renforcer leur présence en ligne. Et qu’inversement, des entreprises qui ont démarré sur le Web commencent aujourd’hui à se doter d’emplacements physiques, comme Warby Parker dont les clients peuvent maintenant voir et essayer les différentes montures même s’il n’est pas possible de les acheter sur place. Le changement se fait donc dans les deux sens.

Fascinés par la vision de l’avenir du commerce de Vincent, nous avons voulu en savoir plus. Voici de quelle façon il conçoit l’avenir du commerce de détail, des modèles de vente en ligne et du méta-univers.

On le sait, la fusion de la vente en ligne et du commerce traditionnel va créer des tonnes d’occasions pour les entreprises. Mais y a-t-il des pièges à éviter?

Les entreprises qui font fi de cette nouvelle réalité pourraient en payer le prix. D’un côté, on a des gens qui ne veulent pas voir que le numérique est là pour rester et qui persistent à investir dans de vieux modèles, juste parce qu’ils fonctionnent bien depuis toujours. Et de l’autre, on a des entreprises qui fonctionnent exclusivement en ligne qui offrent des produits sans chercher à se créer une histoire ou une image de marque, au risque de manquer de personnalité et de profondeur. Et ça, c’est un rôle important qu’un site Web peut tout à fait jouer. Même s’il est facile d’acheter un modèle de site tout fait sur Wix ou Squarespace, les clients s’en rendent compte. Ce qu’ils recherchent, ce sont des marques bien établies.

Pour un nombre croissant de consommateurs, la commodité n’est pas nécessairement prioritaire. Ce qu’ils veulent, c’est que leur argent aille à des entreprises locales qui ont les mêmes valeurs qu’eux, même si les produits sont plus chers qu’ailleurs. Dans un tel contexte, penses-tu que les entreprises devraient laisser les modèles axés sur la commodité à des géants de l’industrie comme Amazon?

Vu ses importants investissements dans la livraison du dernier kilomètre, on peut dire qu’Amazon est le leader incontesté de ce segment. Pas plus tard qu’hier, j’ai annulé une commande pour laquelle on m’a renvoyé le colis et je l’ai déjà reçu. C’est fou!

Cela dit, la commodité n’est pas juste une question de rapidité de livraison. Je ne dis pas que j’ai LA solution parfaite; chaque entreprise est différente et exige une approche différente. Ce que je sais, par contre, c’est qu’une marque qui veut miser sur la commodité doit se rapprocher de ses clients et leur offrir une expérience bien plus personnalisée. Ça veut dire qu’elle doit réellement connaître les consommateurs. Amazon sait peut-être où ses clients vivent et ce qu’ils aiment acheter, mais je doute que les gens pensent qu’Amazon les connaît véritablement.

Imaginez que vous voulez lancer une petite entreprise de nettoyage à sec. Pour donner un sentiment de commodité aux clients, vous pouvez commencer par apprendre leur nom, savoir à quel moment ils ont l’habitude de venir récupérer leur linge, etc. Tous ces aspects comptent pour les gens et constituent aussi une forme de commodité, car ça leur simplifie la vie. Et le meilleur dans tout ça, c’est qu’il n’est même pas nécessaire d’être à proximité des consommateurs pour nouer ce genre de relation. Imaginez que vous commandiez un pantalon auprès d’une petite entreprise européenne, et qu’elle vous envoie ensuite un message pour savoir si vous avez aimé votre achat. C’est l’occasion d’expliquer par exemple que le tissu vous plaît, mais que vous auriez aimé avoir deux poches à l’arrière. L’entreprise peut alors vous dire qu’elle en tiendra compte pour les prochains modèles. Ça, c’est un parfait exemple de commodité.

Ce qui compte, c’est d’arriver à créer ce sentiment de proximité, peu importe où on se trouve. C’est un modèle dans lequel de nombreuses marques investissent, et c’est l’approche qu’a choisie la marque de vêtements de vélo Rapha. Tous les gens qui suivent Rapha ont le sentiment de faire partie d’une collectivité : ils veulent tous parcourir les mêmes endroits et ont des intérêts communs. Et ils savent que s’ils appellent le service à la clientèle de Rapha, la personne au bout du fil sera aussi mordue de cyclisme. En faisant des recherches pour un client international, on a découvert que la musique qui faisait fureur à New York il y a 20 ans n’était pas du tout la même que celle qui faisait vibrer les habitants de Los Angeles ou d’Espagne. C’est quelque chose qui a bien changé, et des gens de Montréal et de Tokyo partagent aujourd’hui exactement les mêmes intérêts. Il n’y a plus de frontières. Ça prouve que la distance n’est pas un obstacle au sentiment de proximité et de commodité; ce qui compte, c’est de rallier ses clients autour d’un intérêt commun.

Parlons de Facebook. Tu disais qu’il est tout à fait possible que cette plateforme devienne le prochain leader de la vente en ligne. Penses-tu qu’il y a une confiance assez grande du côté du public pour que cette transition se réalise? Et si oui, quelle forme est-ce que tout ça prendra?

Je pense que Facebook n’a pas su saisir les occasions qui se sont présentées les dernières années. Mais vu sa portée et son immense polyvalence, je crois qu’elle a tout à fait le potentiel de devenir un leader de la vente en ligne si elle s’y prend correctement. Mais il y a un problème de confiance.

Selon moi, pour arriver à regagner la confiance des gens, Facebook va devoir s’ouvrir un peu et offrir une meilleure place de marché pour les marques. Elle pourrait ainsi attirer des géants comme Nike et Apple, qui pourraient s’établir et se développer dans cet écosystème en apportant leur réputation et leur clientèle, ce qui détournerait l’attention de la plateforme. Amazon a beaucoup bénéficié de l’arrivée de Nike sur sa plateforme. Tout le monde s’est dit que si une entreprise comme Nike embarquait, peut-être que d’autres produits d’Amazon étaient dignes de confiance. Et c’est aussi ce qui pourrait arriver à Facebook, qui a tous les ingrédients nécessaires : la technologie, la base, etc. Ce qu’il lui reste à faire, c’est maintenant de voir comment combiner tous ces ingrédients pour trouver une recette gagnante.

L’annonce de Meta est un grand pas dans cette direction; ça montre que Facebook veut repenser sa marque et réinventer les possibilités de la plateforme et ce qu’elle signifie pour le commerce. Il reste maintenant à voir ce que l’avenir nous réserve.