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Villes et communautés : Comment développer de nouveaux modèles de coopération en développement urbain

« La ville est humaine. Elle n’est pas que du verre, du béton et de l’acier. Lorsqu’on parle des communautés, du développement urbain et des villes intelligentes, on pense souvent à l’aspect technologique en premier. Nous voulons commencer par le but, c’est-à-dire par le facteur humain, parce qu’il s’agit de bâtir un environnement et une société. Il s’agit de liens significatifs. »

— Markus Schreyer, vice-président principal de l’innovation commerciale à l’échelle mondiale, Design Hotels

 

L’avenir des villes est un enjeu humain qui nécessitera une planification et une approche centrée sur l’humain. Animée par Benoit Lagacé, directeur, Stratégie et Design urbain, Sid Lee Architecture, et par Fanny Eliaers, directrice mondiale, Croissance de la marque et Innovation, Sid Lee, notre dernière table ronde examine l’avenir des villes sous les angles de la cocréation, du design, du partenariat, de la planification, de l’activisme et des données.

 

Participants:

Kari Aina Eik, Secrétaire générale d’OiER, conseillère principale des Objectifs de développement durable et coprésidente de United for Smart Sustainable Cities (U4SSC)

Dr. Victor Pineda, Ph.D. en urbanisme, chercheur non-résident de l’école Mohammed ben Rashid du gouvernement à Dubaï, fondateur et président de la Fondation World ENABLED et fondateur de la Fondation Pineda

Olivia Bulis, Élève de deuxième secondaire et activiste en santé mentale

Markus Schreyer, Vice-président principal, Innovation commerciale à l’échelle mondiale, Design Hotels et Ph.D. en gestion de l’innovation

 

Il y a des milliers d’années, nous nous sommes regroupés pour assurer notre sécurité et nous nous sommes installés derrière les murs que nous avons érigés. Nous avons modifié notre environnement, sommes devenus plus productifs, avons bâti la confiance et avons évolué. Et les villes ont évolué avec nous.

Si nous voyons le monde des humains comme un système planétaire, comme une écosphère ou une anthrosphère, quelle proportion de cette anthrosphère est occupée par la ville? Pas seulement physiquement, mais dans la psyché collective? Plus nous nous libérons de la bataille presque constante pour trouver de la nourriture, pour nous-mêmes ou les autres, plus la ville prend de l’ampleur dans cette anthrosphère.

On croit que d’ici 2030, 60 % des gens vivront dans les villes. Les villes et leurs régions métropolitaines favorisent la croissance économique. Elles contribuent à 60 % du PIB mondial. Bien évidemment, elles consomment une quantité proportionnelle de ressources et sont responsables de 70 % des émissions de carbone mondiales.

Pour que l’avenir des villes soit prospère, il devra être le fruit de la cocréation et de la collaboration extrême, principalement parce que la majorité des humains et de leurs impacts se concentreront dans les villes. Traditionnellement, les responsabilités et les mesures visent les gouvernements et les organisations internationales. Il est pourtant nécessaire de tenir compte des contributions de la société civile, des entreprises, du milieu universitaire, des philanthropes et de nombreux autres acteurs de la communauté. Nous devons créer des systèmes qui améliorent les liens, facilitent la transmission des données et abolissent les frontières entre les forces qui façonnent les environnements humains ainsi que les citoyens qui y vivent.

 

Planification efficace : centrée sur l’humain et axée sur l’impact humain

« Je rêve d’un monde où David qui porte des lunettes, Billie qui a des taches de rousseur et Victor qui est en fauteuil roulant sont considérés comme de la diversité sociale. » — Dr Victor Pineda

Les bâtiments et les infrastructures sont les caractéristiques les plus évidentes d’une ville, mais les édifices et les ponts sont à la ville ce qu’un canal est à l’eau qui s’y écoule. Ce sont des artères et des fondations, et nous devons continuellement réexaminer leur valeur en fonction de leur utilité pour les gens. Quand nous pensons à demain, nous devons nous demander comment nos systèmes contribuent à organiser les communautés de façon à surmonter les enjeux changeants d’aujourd’hui.

Quelles que soient les intentions qui les sous-tendent, qu’il s’agisse de divisions de l’espace en brique et en mortier ou de technologies des villes intelligentes, les systèmes peuvent créer des inégalités et les creuser. Ils peuvent également offrir des occasions et favoriser l’accès et l’inclusion. La clé est d’identifier comment ils peuvent y parvenir et de développer le design en conséquence. La participation communautaire à la création est un élément important des systèmes bénéfiques, car elle les aide à libérer le potentiel humain plutôt que le restreindre. C’est dans cet espace que la vraie collaboration et l’inclusion extrême prennent vie.

Pour collaborer, il faut pouvoir voir au-delà des limites des domaines et désapprendre suffisamment pour créer de l’espace en marge de l’expertise pour déterminer ce qui se chevauche et ce qui se trouve en commun. C’est dans cet espace que nous trouvons de nouvelles réponses.

Il arrive souvent que les gens les plus touchés par un enjeu soient ceux qui sont les moins sollicités pour prendre des décisions qui changent leurs circonstances. Il est impératif de les inviter à la table de décision et de leur donner une voix. Ces derniers voient et agissent de nouvelles façons qui sont souvent négligées par la planification traditionnelle et les procédés conceptuels. Habiliter les gens à participer est une question d’éducation; c’est nécessaire à tout changement et essentiel pour concevoir des systèmes urbains inclusifs. Des espaces de formation pour les personnes de tous âges bâtis dans nos villes pourraient offrir les outils d’engagement nécessaires pour appliquer des pratiques durables et inclusives en planification pour l’avenir.

Faire participer, c’est plus que demander l’opinion. Le changement ne devrait pas se faire de bas vers le haut; il faut renverser la pyramide. Les voix des citoyens de la ville doivent être entendues, mais elles doivent être même implantées dans ses systèmes. La vraie inclusion passe par la représentation dans les panels et les comités qui formulent des recommandations et prennent des décisions. C’est comme ça qu’on peut intégrer des solutions pour le monde réel.

 

Utiliser la technologie et les systèmes pour permettre l’inclusivité — une vision de l’avenir sous l’angle de la cocréation

« Nous devons créer des systèmes qui créent de meilleurs liens et nous assurer d’avoir une représentation adéquate, et pour faire ça, nous devons nous y mettre vraiment et essayer de trouver les gens. » — Benoit Lagacé

La vraie innovation inclusive agit comme catalyseur. Ses principes intégrés propulsent les systèmes de mouvement. Lorsqu’on parle des communautés, du développement urbain et des villes intelligentes, on pense souvent à l’aspect technologique en premier, mais l’innovation inclusive commence par le facteur humain. Il n’est pas seulement question des environnements, mais de la société qui les habite et des liens qui sont tissés avec eux. L’innovation inclusive incite les gens à penser aux aspects positifs et favorise les partenariats. Elle fait participer le secteur privé et le secteur public.

Prenons l’exemple du changement climatique comme facteur formateur. 80 % des personnes de 18 à 29 ans qui ont été sondées sur des questions politiques affirment que le changement climatique est leur préoccupation principale. Il faut tenir compte de ce genre de données lorsque nous concevons et bâtissons les villes, que ce soit lorsque nous créons des espaces verts ou que nous explorons de nouvelles sources d’énergie renouvelable. Cela permet de donner plus de poids aux voix qui doivent être entendues. C’est un exemple d’inversement de la planification. Plutôt que de venir du haut, elle vient du bas.

 

Communautés, résilience, collaboration et infrastructures souples

La pandémie de COVID-19 a mis les villes et les communautés à l’épreuve en révélant leurs lacunes et leurs forces. Lorsque les défis ont été relevés grâce à la coopération et que les interactions entre les humains ont été facilitées, de nouvelles occasions se sont manifestées, approfondissant les liens et renforçant les communautés.

La résilience humaine est transférable. On peut appliquer ce même esprit à d’autres défis. Nous aimons considérer la résilience comme une puissance douce — une force ancrée dans la compréhension, dans l’empathie et la dignité. Lorsqu’ils sont traités équitablement, les gens sont aptes à libérer le potentiel infini qui réside en eux.

Les pressions causées par la pandémie ainsi que ses conséquences sociales et économiques montrent la valeur de l’investissement dans la résilience humaine et la durabilité sociale. Plutôt que d’être considérée comme une fin en soit, la technologie devrait être utilisée pour les appuyer. Elle nous aide à faire respecter les valeurs humaines, à libérer le potentiel humain et à créer une durabilité sociale.

Une autre chose que la pandémie a fait ressortir est le pouvoir de la collaboration et des actions concertées. Lorsqu’on tire dans une direction, les choses bougent. Cela fonctionne verticalement et horizontalement. Depuis le printemps, nous avons vu comment les recommandations mondiales se sont transformées en mesures locales à une nouvelle échelle. La réponse à la pandémie s’est traduite par un geste immense de coopération, même si elle a pu paraître inégale sur le terrain à tous les points de vue.

Le même genre d’action collective en planification urbaine est non seulement possible, mais essentiel. De grands réseaux privés existent au-delà des frontières et des affiliations politiques. Les chaînes hôtelières, par exemple, ont des titres, des immeubles, un pouvoir économique et un capital social, et elles sont investies dans les villes où elles sont présentes en employant de la main-d’œuvre locale et en offrant des espaces publics. Elles sont bien positionnées pour aider à stimuler la sensibilisation, la capacité et les partenariats qui sont profitables à leur environnement urbain. Elles peuvent créer des attentes entre pairs à propos du progrès et permettre aux groupes d’y parvenir. Ce genre d’organisations a un vrai rôle à jouer pour renforcer la puissance douce.

 

Données, outils, simulations et perception

La principale innovation vers laquelle nous devons axer nos efforts est la collecte et l’organisation d’ensembles de données. Nous avons besoin de systèmes qui peuvent traiter l’information et créer des indicateurs mesurables et ciblés de l’accessibilité et de l’inclusion. Il s’agit de cataloguer l’innovation pour diriger des initiatives et de travailler sur des enjeux allant de l’infrastructure à l’intelligence artificielle.

Ce genre de traitement nous permet de voir ce que nous avons et ce dont nous avons besoin. Recueillons-nous le bon type de données? En avons-nous suffisamment? Notre vision des enjeux comporte-t-elle des angles morts?

Nous pouvons imaginer un cadre de travail permettant de faire avancer les données et d’en favoriser l’utilisation :

— Mesures législatives aux paliers local et international;

— Leadership autonomisé qui attibue les ressources;

— Capacités institutionnelles sous la forme de formations, de connaissances humaines et de ressources humaines permettant de gérer et de coordonner le travail nécessaire;

— Attitude d’apprentissage, de croissance et compréhension en continu;

— Participation au développement de solutions, diversité dans la représentation au cours du processus et une mesure pour l’évaluer.


La perception qu’a le public de la valeur découlant de l’analyse des données s’accompagne de défis. Si on croit que nous recueillons sans cesse des données sans qu’il n’y ait d’impact sur le monde réel, la confiance du public sera mise à rude épreuve. Il faut y mettre du sien pour la raviver. La manipulation et l’utilisation des données doivent se faire par le biais de la cocréation dans un environnement qui favorise la confiance.

Les simulations sont utiles pour imaginer l’avenir des villes, mais elles ne sont pas inhérentes aux environnements de confiance neutres, à l’instar des données et de l’intelligence artificielle. Il est utile de faire des partenariats avec des institutions de confiance comme l’ONU pour utiliser ces outils.

Les avantages qu’elles ont sont importants. Elles nous aident à transférer les connaissances et à les appliquer dans d’autres domaines. Quel que soit le contenu, elles peuvent simuler n’importe quel scénario ou ville. Et surtout, les clients qui utilisent les outils conservent leurs droits sur les données.

L’innovation réside peut-être dans un changement dans les méthodes d’évaluation, c’est-à-dire en passant des méthodes quantitatives aux méthodes qualitatives. Cela nous aiguillerait sur les motivations et les besoins et nous permettrait d’intégrer cette compréhension approfondie à la planification de la communauté plus efficacement. Encore une fois, il est nécessaire d’écouter les voix des citoyens de la ville. 

 

Participation citoyenne, partenariats et secteur privé

« Si nous n’allons pas dialoguer avec le secteur privé, nous ne réussirons jamais à réaliser nos projets. » — Kari Aina Eik

Il est irréaliste de penser que seuls les gouvernements peuvent façonner efficacement l’avenir des villes. Il est nécessaire de mobiliser le secteur privé. Les villes n’attendent pas que les choses se règlent d’elles-mêmes; elles ont besoin de tout, tant d’infrastructures et d’édifices que d’une interface humaine et d’une gouvernance axée sur la collaboration. Pour la suite des choses, nous devons avoir une approche holistique et intégrée.

Les partenariats autonomisent la ville en aidant les gouvernements locaux à comprendre comment développer des capacités, à développer l’aspect technologique et à dégager de nouvelles ressources et perspectives. C’est dans l’intérêt du secteur privé de s’assurer que ces principes sont intégrés à l’infrastructure plutôt que d’attendre que la société les exige. Cela démontre une vraie compréhension de la société et de l’environnement.

 

Infrastructures souples

« C’est déconcertant de voir des villes qui bâtissent des marches avec des piques et des endroits où il est impossible de dormir. Il ne devrait pas y avoir de gens qui dorment dans la rue, il devrait y avoir des espaces sécuritaires où ils peuvent trouver un abri. » — Olivia Bulis

Les conséquences de certains enjeux sont répandues, mais latentes. Tandis que nous nous attaquons aux symptômes, certaines causes tombent sous le radar. Les infrastructures souples — les systèmes qui priorisent le bien-être humain — peuvent constituer une approche holistique. Elles assurent notamment les droits et l’égalité d’accès sans égard à la race, au genre, à la sexualité, au statut économique ou à la religion.

Une partie de cela repose sur notre capacité à faire preuve d’ouverture et à être vraiment à l’écoute des voix de la ville. Par exemple, les jeunes accordent la priorité au développement durable, mais se soucient également du bien-être et de la santé mentale. Les ressources en santé mentale sont présentement coûteuses et difficiles d’accès, ce qui rend les soins inaccessibles à ceux et celles qui en ont besoin. Les infrastructures souples qui répondent à ces besoins pourraient prendre la forme de politiques de prévention ou pourraient élargir leurs services pour donner des programmes de formation qui s’attaquent aux stigmates sociaux ou offrir plus de points d’accès comme des centres de crise.

 

Pistes de solution

« On doit faire partie de quelque chose. Seul, ça serait impossible. Nous sommes tous reliés, n’est-ce pas? » — Kari Aina Eik

Il existe une solution à tous les problèmes. Une ville a trouvé une solution à des enjeux qui touchent d’autres villes. Il est impératif d’écouter, de faire des liens et d’apprendre.

Pour profiter réellement des connaissances et de l’expérience de chacun, nous devons faire entendre toutes les voix et communiquer efficacement. En fin de compte, l’inclusion extrême consiste à investir dans toutes les voix et d’avoir une approche intersectionnelle plus vaste de l’équité. Plus notre représentation sera inclusive, plus nos villes le seront également.

Et pour apporter des changements holistiques, il faudra des systèmes holistiques qui permettent le partage et la mise en œuvre de la sagesse, de l’expérience et de la perspective des voix auxquelles nous avons donné du poids. C’est de là qu’émane une occasion d’intégrer nos valeurs aux infrastructures que nous bâtissons et de les faire évoluer à mesure que nos valeurs évoluent.

Les solutions existent. Il est temps de développer l’engagement politique et la capacité d’interagir en créant des systèmes qui permettront de bâtir l’avenir que nous voulons pour nos villes.