L’image de marque à l’ère des agents IA

Quelque chose d’important s’apprête à changer dans la façon dont les gens se connectent aux marques. Jusqu’ici, les clients visitent votre site, votre application ou votre magasin pour obtenir ce dont ils ont besoin. Bientôt, plusieurs ne feront même plus cet effort. Ils demanderont simplement à une IA, qui s’occupera du reste: trouver des réponses, faire des achats, ou même négocier des ententes.
Ce n’est pas de la science-fiction. Les LLM tiennent des conversations qui semblent humaines. Ils ont passé le test de Turing sans qu’on s’en rende vraiment compte. Les conséquences sont énormes: la relation client passe de plus en plus par la machine.
Trop d’entreprises voient encore l’IA comme un moyen de réduire les coûts en remplaçant des processus par de l’automatisation. Du côté client, par contre, le changement paraît très différent. Des millions utilisent déjà ChatGPT pour chercher, comparer et décider quoi acheter. Aujourd’hui, ces agents ne négocient pas directement avec les marques, mais ce moment arrive vite.
Quand ce sera le cas, la première couche de compétition sera le prix. Les agents vont pousser chaque marque vers le prix le plus bas possible. Mais si votre marque n’offre que ça, elle risque de disparaître. Ce qui comptera, c’est la façon dont vos qualités se retrouvent dans la manière dont votre agent communique: pertinence culturelle, distinction, fiabilité. Même si les machines ne « ressentent » pas ces valeurs, elles les feront ressortir dans leurs recommandations. Le défi n'est plus seulement d'être trouvable sur Google. Il faut être recommandé par ces agents qui deviennent rapidement la porte d'entrée de chaque choix client. Et pas seulement apparaître dans une liste, mais être suggéré comme la meilleure option, avec un raisonnement expliquant pourquoi votre marque répond au besoin. Impossible d’acheter cette position, du moins pas encore. Il faut la mériter, en rendant les qualités de la marque assez claires pour qu’un agent les reconnaisse et les transmette.
Des écrans aux interfaces ambiantes
Les sites et les applis nous ont donné clarté et contrôle, mais en obligeant les gens à passer par des parcours de clics complexes pour des tâches simples. Et la « personnalisation » n’a jamais tenu ses promesses. D’un côté, du marketing superficiel. Changer une bannière ici, un titre là. De l’autre, des flux médias sociaux conçus pour nous garder captifs.
L'IA générative peut briser ce moule. Au lieu de forcer tout le monde à travers le même flux, les interfaces conversationnelles permettent de dire ce qu’on veut pendant qu'un agent fait le travail en arrière-plan. Dix clics deviennent un échange.
C’est le début des expériences polymorphes. Par polymorphe, on parle d’interfaces qui changent de forme, mais gardent la même identité. Elles ne disparaissent pas, mais elles ne sont plus statiques non plus. Elles changeront de forme pour s'adapter au moment, ajustant fonction, ton, mise en page ou séquence selon le besoin. Sans écran, la même expérience de marque peut surgir comme une voix dans votre oreille, un conseil dans vos lunettes, une orchestration de services. Peu importe, l’interaction étire l'expérience utilisateur bien au-delà des pages fixes et des formulaires rigides.
L’expérience utilisateur reste centrale
Lorsqu’on a mené une recherche ethnographique pour une banque sur les demandes d'hypothèque, on a trouvé que presque tout le monde partageait la même peur d'être refusé. Pour la plupart, cette peur était injustifiée. Pourtant elle était universelle. La pensée qui persistait était simple: qu'est-ce que mes parents vont penser si je ne peux même pas obtenir une hypothèque? Le défi n’était pas juste l’utilisabilité, mais de créer une expérience qui apaise cette tension pour tous.
Des insights comme celui-là deviennent essentiels dans un monde où les interactions passent par des agents qui agissent comme des humains. Si on veut que ces systèmes se sentent humains, il faut concevoir non seulement pour les tâches, mais aussi pour les espoirs et les peurs qui les entourent. La recherche utilisateur révèle ces couches cachées et aide à encoder des qualités comme la patience, l’empathie et la réassurance. Des qualités qui font qu'une interaction se sent vivante plutôt que mécanique.
Pour y arriver, les marques ont besoin de « bibles d'expérience », pas juste des guides de marque. Les anciens manuels précisent couleur, typographie et slogans. Les nouveaux doivent codifier les comportements. Comment un agent salue, comment il refuse, comment il escalade, quand il transfère, quels tons sont permis et lesquels ne le sont pas. Ce sont ces patterns qui font qu'une IA se sent cohérente et fiable.
Par où commencer
La première étape est simple: choisir un point de contact et le réimaginer à travers le prisme de l’interaction. Ne demandez pas quel contenu afficher; demandez quel échange permettre. Oubliez la logique de l’organigramme et pensez plutôt à la façon dont la marque doit se comporter dans ce moment précis. Ensuite, codifiez les décisions. Il ne s’agit pas de tout prévoir, mais de capturer les scénarios qui rendent votre marque reconnaissable. Son ton, ses moments de surprise, sa façon d’encourager ou de rassurer, et oui, comment elle gère les refus ou les escalades. Le but n'est pas seulement de prévenir les défaillances, mais de créer des rencontres inventives, mémorables, indéniablement à votre image.
Il faut aussi se rappeler que l’IA fonctionne mieux quand elle disparaît. Trop souvent, elle est présentée comme une usine à contenu. Des pubs, des images ou des vidéos qui attirent l'attention sur l'outil lui-même. Mais en pratique, l’IA devrait se sentir plus comme des effets spéciaux dans un film: invisible, mais amplifiant l’histoire. Une expérience bien conçue ne devrait pas faire penser au client, « je parle à une IA ». Elle doit sembler naturelle, humaine, et propre à votre marque. C’est pourquoi les projets en marge sont le terrain idéal pour commencer. Des campagnes ludiques, des petites applications utilitaires, des expériences culturelles. Ils permettent d’essayer, de raffiner, et de laisser l’IA disparaître dans l'arrière-plan d'une expérience fluide.
Concevoir pour le non-déterminisme
Le deuxième principe est d’accepter que l’IA ne se comporte pas comme un logiciel traditionnel. Elle ne donnera pas toujours la même réponse. Au lieu de voir ça comme un défaut, il faut concevoir en fonction. Tester la variance, pas juste la précision. Construire des systèmes qui peuvent régénérer des réponses, escalader quand nécessaire, ou transférer proprement. La perfection est impossible; le confinement et la récupération bâtissent la confiance.
C'est là que la sécurité et l'intégrité de marque convergent. Les pipelines multi-agents, les processus de surveillance et les vérifications humaines ne sont pas des luxes techniques: ce sont des nécessités de marque. Ils garantissent que même quand une interaction dérive, elle reste dans les limites et garde le bon ton. Un système qui échoue de façon sécuritaire sera toujours supérieur à un système qui promet le contrôle parfait et s’effondre au moindre accroc.
La vision à long terme
Avec le temps, ces expériences en marge deviennent plus que des curiosités. Chaque tentative ajoute à un répertoire de comportements qui forment une signature vivante. Pendant que vous construisez ce répertoire, il passe des marges au cœur de votre marque. Ce qui a commencé comme de l’expérimentation devient le pilier de l’expérience, un système assez robuste pour guider chaque interaction à grande échelle.
Mais il faut se rappeler que l’IA ne représente pas votre marque. Elle n’invente pas votre culture, votre histoire, ni la signification de votre produit. Celles-ci viennent des gens. Les choix créatifs, le métier, les valeurs qui rendent votre marque digne d'attention en premier lieu. Le rôle de l’IA est de faire ressentir ces qualités dans chaque interaction. Bien fait, elle disparaît, ne laissant que l’histoire et l’émotion.
C’est ça, la vision à long terme. L’IA ne récompense pas l’hésitation. Les marques qui réussiront l’utiliseront pour démontrer leur personnalité, pas comme un substitut. En commençant par de petits essais en marge invisibles et en portant ces principes au centre une fois prouvés. C’est comme ça qu’on garde le cœur de l’humain intact, tout en s’assurant que votre marque se sente vivante quand tout le reste s'aplatit.
À propos de l'auteur
Jean-François Lavigne est directeur de création et responsable de l’innovation chez Sid Lee. Il travaille à l’intersection du design d’interaction, du branding et de l’intelligence artificielle, aidant à transformer de nouveaux outils en produits et expériences de marque innovantes.